jeudi 16 juillet 2015

"La garden party" et les "hauts de Hurlevent" réunis

Lydie et moi, à droite (3 ans)

Quand j'étais enfant, ma mère avait plus ou moins interdit à ma grand-mère et à ma grand-tante de me parler occitan ou plus exactement patois. Elles s'exécutaient scrupuleusement ... mais voilà : lorsqu'il était question ENTRE ELLES d'un sujet que JE NE DEVAIS PAS CONNAÎTRE, les innocentes passaient automatiquement à la VO..  de sorte que, comme un chien à l'embusque, je dressais immédiatement les oreilles et c'est ainsi que je l'appris rapidement (!). Excellente méthode pédagogique.
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... Et, plus important, que j'appris les "choses" que JE NE DEVAIS PAS SAVOIR, forcément les plus intéressantes qui soient... qui en effet s'avérèrent importantes ensuite lorsque je pus les comprendre [car les propos en VO faisaient référence à des événements inconnus de moi qu'il me fallut ensuite décrypter.]
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Ainsi ma mère n'avait-elle pas apprécié le mariage de tonton Luc, son jeune et unique frère avec Michèle.. Tiens tiens... ? Tata Michèle, si gentille, qui me faisait toujours des cadeaux somptueux et de surcroît parfaitement ciblés -des livres, souvent sur les animaux-, comment était-ce possible? Et celui-ci, pour la première fois, s'était violemment disputé avec son aînée, l'archétype de l'intelligence et de la Justice. Ça alors ! Tonton Luc ! Fâché avec la Sultane. Inimaginable.
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Dialogues. 
Margot : Bien sûr, elle [ma mère] avait raison mais bon, ils étaient heureux et après tout, rien n'avait été prouvé contre Michèle, elle était si jeune, si naïve, souviens-toi..
Anne : Non, pas si naïve [ma grand-tante était plus dure] elle travaillait, elle avait l'habitude des gens, ce n'était pas une gourde.. Et elle ne s'en est pas si mal sortie, un maquisard gradé au feu, forcément, ça a fait un peu oublier... son AMIE!
-Mais ce n'était pas SON AMIE, c'était juste une cliente..
-Oui.. avec laquelle elle déjeunait tous les matins, ne sois pas sotte, Margot s'il te plaît.." etc etc.. Même le ton d'Anne n'était pas à celui qui était sien habituellement avec son aînée de 12 ans, Margot, la première Sultane. Sec, froid, assertorique. 
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Ouahh ! petit à petit [mais cela prit du temps, il fallut manœuvrer serré, par petites touches, avec ma mère, avec elles deux, discrètement, jouer l'idiote, pêcher, provoquer -légèrement-, déduire..].. mais petit à petit, le scénar se mit en place : ma tante Michèle avait eu une "amie" -ou une simple voisine?- collaboratrice [plus exactement maîtresse d'un officier allemand] qui fut arrêtée et tondue à la Libération. En effet, Michèle était jeune, peu instruite et sans doute inconsciente, n'ayant peut-être rien su des relations de sa jolie copine [ou n'ayant pas voulu s'y attarder.] Reste que, lorsque le vent tourna, son mariage avec mon oncle en effet, la mit immédiatement hors d'atteinte. [Mais il me semble certain que ce n'était pas son but : ils s'aimaient tout simplement, même s'ils n'avaient peut-être pas été tout à fait du même bord, Michèle, pragmatique -orpheline de père et élevée durement par une mère courageuse mais peu tendre- ayant été plus soucieuse de son travail et de ravitaillement que de "politique", et puis ce n'était pas l'affaire des femmes, surtout sans beaucoup d'instruction n'est-ce pas? etc.. Michèle savait jouer les idiotes mais en effet elle était loin de l'être et dans le couple, en dépit des apparences, c'était la plupart du temps elle qui menait le jeu.]
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ÉPILOGUE. Les hauts de Hurlevent.
Mais ce n'est pas fini et il y eut hélas un tragique épilogue... 60 ANS APRÈS.
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Ni ma mère [dont le fiancé était mort sous la torture, ce dont elle ne se remit jamais] ni surtout ma grand-tante ne désarmèrent totalement ; bien que rien ne fût dit, bien que les relations ensuite fussent normales, amicales, il y avait [j'en pris conscience après coup] comme une distance invisible, une mise à l'écart discrète qu'elle dut subir -sans PARAÎTRE en être affectée-. [Par exemple ma mère n'avait pas avec elle les relations franches, directes, pleines d'humour -par exemple un tutoiement spontané- qu'elle avait avec Lise, une belle sœur -de Michèle!-] Parfaite épouse, parfaite belle-fille, il restait cependant au sol devant elle la tâche indélébile de Lady Macbeth devenue une simple trace, mais toujours là pour ceux qui savaient son existence et son emplacement.
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Et c'est 60 ans après [mon oncle décédé depuis longtemps], à la mort de ma mère que "cela" éclata ET C'EST MOI QUI EN FIS LES FRAIS, Michèle [et sa belle-fille briefée elle aussi, sans doute au cours des années] se déchaînèrent, elles n'avaient rien pu contre la Sultane mais contre sa dauphine, oui, elles pouvaient. Elle paierait pour sa mère. C'est la belle-fille qui porta la charge, Michèle, plus intelligente, se contentant de la sonner : accusation d'inceste [avec mon cousin] lettre d'insultes d'une inénarrable cruauté, juste au moment de ma séparation d'avec mon mari et de la maladie de ma fille ["personne ne peut t'aimer, même ta fille, tes propres enfants te rejettent, tu le vois, tu n'as que ce que tu mérites etc.."] lettre que, cerise sur le gâteau, ELLE SIGNA ELLE MÊME DE LEUR DEUX NOMSLE SIEN ET CELUI DE SON MARI -MON COUSIN-... SANS RIEN LUI EN DIRE (!) etc..
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Ainsi donc Michèle, SANS JAMAIS RIEN MONTRER, durant 60 ans, avait voué -et transmis, mais à qui ne désirait que cela- une haine sans précédent à ma mère, répercutée sur moi ensuite, haine qui, dissimulée, avait enflé comme un abcès nauséabond jusqu'à l'éclatement à sa mort... Et, quelques jours après la disparition de la Sultane*, enivrée du bonheur de pouvoir enfin se venger, certes pas sur celle-ci, mais sur sa fille [c'est à dire la faire souffrir là où elle aurait été le plus atteinte si elle avait pu le voir] ELLE DONNA DANS SON JARDIN UNE GENTILLE FÊTE, de sorte que cette nuit-là, berçant l'urne de ma mère comme pour l'empêcher d'entendre, je ne perdisse rien des bruits de verres entre choqués, des rires et des échos de ripaille heureuse. "La garden party" et "Les hauts de Hurlevent" version Cévennes (et femmes.)



* Notons le, après avoir scrupuleusement rendu à la morte les devoirs convenus, Michèle, comme sa belle-fille, ne plaisante pas avec les devoirs familiaux. [Que dirait-on sinon? Les gens sont si méchants (!) N'est-ce pas ?]
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Du coup, je me pris à douter : un tel talent de dissimulation [c'était la tante que je préférais], LITTÉRALEMENT HORS NORME DANS LA DURÉE.. ne pouvait que faire réfléchir : avait-elle indirectement collaboré [mais plus finement] ? S'est-elle servie de mon oncle lorsque son amie à été arrêtée [à cette époque de chaos où certains se faisaient passer pour maquisards qui ne l'avaient jamais été et pour se dédouaner, se livraient à des actes de barbarie publics*, certain/es furent fusillé/es pour moins que cela ?] Reste que, soit avant, soit après, elle l'a aimé.
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Une vengeance donc, après 60 ans, une vie entière (!) d'exécration.. une vengeance, non sur l'ennemie redoutée avec laquelle on se réunissait tout ce temps à toutes les fêtes (!) mais sur sa fille qui n'y était pour rien, [et in fine, par une séide interposée qui ne savait rien de l'histoire et crut peut-être redresser quelques torts-prétextes (?) un héritage inégalement réparti (?) en faveur de l'aînée, une préférence évidente de Margot vis à vis de sa fille puis de sa petite-fille issue de celle-ci**?] ; un irréfragable et PÉRENNE DÉSIR DE DESTRUCTION DE CELLE-LÀ À TRAVERS CELLE-CI [que sa mort même n'assouvit pas mais au contraire exacerba et révéla : d'une morte dans son catafalque, que pouvait-on craindre ?] Oui, un geste inélégant qui pouvait assez bien coller avec une pseudo collaboration opportuniste discrète ensuite reniée. Un désir de destruction transmis non seulement à la génération d'après [à sa belle-fille -qui se montra une épigone assez douée-] mais ensuite à la fille de celle-ci [sa petite-fille] briefée à son tour par sa mère etc... Impeccable job, implacable enchaînement, tout à fait remarquable dans la durée, [comme chez Emily Brontë, sur trois générations.]
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* Ces actes de barbarie certes furent ensuite sanctionnés et parfois durement par les Comités de Libération mais ils avaient été commis, irrattrapables, surtout si la mort était à la clef.
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** Ce point-là est sans doute le seul exact, relativement. Margot, dans cette famille d'amazones dont la configuration sur plusieurs générations était une fille aînée performante et hyper investie -mais devant mériter sa position- par une mère qui travaillait, et cinq ans après, un fils, plus fragile, placé sous la "coupe" de l'aînée, à la fois choyé et déresponsabilisé ; des mères qui se reproduirent peu, deux enfants seulement et furent souvent contraintes de laisser leurs enfants à leur propre mère.. Je naquis cinq ans avant mon cousin dans la suite logique de cette configuration (!) et fut hyper investie par Margot et Anne, et lui aussi se trouva plus ou moins sous ma coupe -beaucoup plus choyé que moi mais "second"- d'où la jalousie ensuite de sa femme, un terreau fertile pour Michèle afin de l'associer à sa haine de ma mère et par la suite de moi-même. Quant à Margot, continuant dans la droite ligne familiale, elle m'éleva pratiquement pendant trois ans mais ne put prendre en charge son petit-fils, nanti, lui, d'une autre grand-mère amazone et de parents friqués, ce que n'étaient pas les miens. Sa "préférence" relative s'explique ainsi. Les reste est foutaise controuvée [un héritage soi-disant plus important, alors que Michèle, pas plus que Luc, n'avaient jamais été mesquins sur le plan de l'argent, bien au contraire] que du reste jamais Luc, au fond seul concerné, n'a, lui, critiqué. Mais il fallait bien un prétexte pour haïr ma mère -et moi, "bénéficiaire" par ricochet ensuite- alors que théoriquement rien ne le permettait... et que la "cause" réelle de cette exécration était spécieuse. Pas facile de dire à une belle-fille qui débarque dans une famille  où tout baigne en apparence: "je déteste ma belle-sœur parce que en 40 j'ai été copine d'une collabo horizontale et qu'elle a manifesté fortement sa désapprobation lorsque son frère est tombé amoureux de moi." 
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